L’initiative « Pas en notre nom – Niet in onze naam » organisée au KVS (Koninklijke Vlaamse Schouwburg, l’équivalent néerlandophone de notre Théâtre national) le 21 janvier 2011 nous a rappelé l’histoire du rapport toujours délicat entre le monde de la culture et celui de la politique. Dans ce cas précis, l’histoire a re-commencé le 19 octobre 2010, lorsque 200 artistes et intellectuels flamands ont publié le manifeste « La solidarité grandit une culture ». D’entrée de jeu, ce texte plante le décor : lesdits acteurs culturels réagissent aux propos de quelque leader N-VA leur enjoignant de servir l’identité flamande. Les acteurs culturels n’aiment pas être instrumentalisés par le politique. Ce n’est pas nouveau et pourtant, les limites entre les terrains de ces acteurs respectifs sont comme le métier, 100 fois à remettre sur l’ouvrage. Les auteurs de ce manifeste ne se contentent pas d’un propos réactif, ils le prolongent par une perspective constructive, d’où le titre.


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Deux mois plus tard, l’association francophone Culture et Démocratie lançait un appel similaire, pour en quelque sorte s’associer à cette initiative des acteurs culturels flamands, chaque communauté linguistique proposant son texte, pragmatisme oblige. Le 21 janvier 2011, alors que se préparait la manifestation citoyenne du 23/1, ces acteurs culturels flamands (leur appel comptant alors près de 2000 signataires) et francophones se rejoignaient sur les planches du KVS. Cette soirée fut riche en émotions, très chaleureuse surtout, chaque artiste partageant ses réflexions et compositions ad hoc, comme cet éloge funèbre de Bruxelles magistralement interprété par Anne Provoost (les francophones auront surtout vu, via Youtube, la prestation en néerlandais de Claude Semal, façon vache espagnole comme il le dit lui-même !).

Pourquoi revenir sur ces événements qui n’ont finalement rien eu de révolutionnaire ? Parce que l’affiche annonçant l’événement évoquait une référence loin d’être anodine : celle de la Muette de Portici, opéra de Daniel-François-Esprit Auber qui souleva l’enthousiasme du public bourgeois de la Monnaie, en 1830. Cela vaut la peine d’aller écouter en ligne ce moment de l’opéra (acte II, scène 2) qui déclencha la révolution d’alors : « Amour sacré de la patrie, rends-nous l’audace et la fierté – A mon pays je dois la vie, il me devra sa liberté »…

La liberté de mon pays dépend-elle donc de moi ? Depuis que le vent de la révolution souffle sur l’Afrique du Nord et le Proche Orient, cette référence désuète retrouve toute son actualité. En Belgique, un auteur flamand l’a également bien compris, il s’agit de Tom Lanoye qui, par vidéo interposée, a fait entendre au KVS, le 21 janvier, un plaidoyer fort convainquant pour le respect de la région bruxelloise. Le même Tom Lanoye est l’auteur de la pièce de théâtre « Mephisto for ever », traduite en français en 2007 [[Trad. et adapt. Alain van Crugten, 2007, éd. SA Lanoye-Toneelhuis, Anvers, 110 p.]], après avoir fait l’événement à Anvers en 2006, au moment même où le Vlaams Belang menaçait d’accéder au mayorat. Mephisto for ever est une adaptation du roman de Klaus Mann inspiré, quant à lui, de la vie de l’artiste Gustaf Gründgens qui fit carrière dans l’Allemagne nazie grâce à l’épouse de Göring. Avec un langage actuel, Mephisto for ever raconte comment un artiste qui entend combattre le régime nazi, pour ensuite prétendre le critiquer de l’intérieur, finit par le servir docilement. Comment, à coup de raisonnements qui ont l’air juste, il justifie in fine l’innommable.

Cette question du rapport entre culture et politique peut être élargie à tout le secteur associatif : comment les initiatives et institutions qui ont besoin de financements publics peuvent-elles critiquer ou garder leurs distances vis-à-vis de ceux qui les rétribuent, avec l’argent du contribuable ? Comment éviter d’être instrumentalisé, ou récupéré, et que signifient exactement ces termes ? Autant de questions que les acteurs politiques devraient se re-poser régulièrement eux aussi.

Antoinette Brouyaux